Son plus récent mandat a été entaché par un scandale de corruption suivi par des arrestations de masse de personnalités de haut rang, ainsi qu'une répression violente de manifestants sur la place centrale Taksim d’Istanbul, et plus récemment une atteinte aux libertés individuelles de son peuple avec l’interdiction de Twitter et YouTube dans la course aux élections locales.
Divers facteurs doivent être pris en compte lorsqu’on analyse la version propre de la Turquie d’un « printemps ottoman », et il y a globalement quatre idées clés qui sont d’une importance particulière dans ces événements : le blocage des médias sociaux, les manifestations du parc Gezi, la scission du mouvement Gülen du parti au pouvoir AKP, parti pour la justice et le développement, et le symbolisme et l’héritage du parti d’opposition CHP, parti républicain du peuple.
Le parti d’opposition CHP représente l’unique voie que la politique turque ait prise au 20ème siècle. Mustafa Kemal Atatürk, en 1923, est l’homme à qui l’on attribue officiellement la création de l’Etat moderne de Turquie à travers une revanche de nationalisme, après la chute de l’Empire ottoman suite à la Première Guerre mondiale. Depuis sa création, il est resté l’un des partis dominants de Turquie, avec une popularité reflétant généralement l’appréciation du dirigeant du parti, allant de 10 à 40%. Cependant, depuis qu’Erdoğan de l’AKP est arrivé au pouvoir en 2002, le CHP s’est vu incapable de regagner une majorité et une victoire électorale. C’est très probablement dû au soutien puissant qu’Erdoğan a reçu, mais aussi à la montée lente mais certaine du traditionalisme qui a bénéficié d’une voix grandissante en Turquie. Son histoire musulmane forte (avec l’Empire ottoman dominant et contrôlant de vastes portions de la Méditerranée pendant plus de 400 ans), l’accueil plutôt froid de la part de l’Union européenne, la tendance d’un « renouveau », la résurgence de la culture et des valeurs musulmanes dans la région du MENA sont tous des facteurs ayant contribué à la popularité croissante des politiques plus populistes et traditionalistes d’Erdoğan par rapport au CHP historiquement laïc.
L’AKP, à l’autre extrémité du spectre, qui a profité d’un contrôle apparemment inébranlable sur le pays, a récemment commencé à montrer des failles. Premièrement, le soudain retrait de soutien par le mouvement Gülen. Dirigé par le clerc islamique Fethullah Gülen, qui réside actuellement aux Etats-Unis, le mouvement a commencé par soutenir Erdoğan dans son premier mandat, cependant les tensions ont augmenté ces dernières années et le dirigeant du pays ne peut désormais plus compter sur cet allié puissant. Il est à noter que tandis que le mouvement Gülen et l’AKP, la coopération a été davantage basée sur l’harmonie politique que sur la synchronisation religieuse. De plus, les différences entre les deux sur des questions houleuses, telles que celle de l’incident de la flottille Marmara en 2011 ou du scandale de corruption de masse durant l’été 2013, n’ont fait que rajouter de l’huile sur le feu.
L’autoritarisme croissant du gouvernement d’Erdoğan est indéniable : cela s’étend de l’interdiction des médias sociaux pour leur influence politique durant les élections locales à la manière dont il a violemment stoppé les manifestations dans le parc Gezi. Une interdiction des médias sociaux – Twitter et YouTube – bien que temporaire, est une démarche qui ne réduit pas seulement sa légitimité en tant que leader démocratique mais démontre aussi un manque de compréhension de la nature évolutive du monde moderne. En effet les politiciens ne doivent pas tenter d’interdire de telles plateformes car cela ne peut que se retourner contre eux : les gens trouveront toujours d’autres moyens par lesquels communiquer et coopérer avec un public, et cette démarche donne l’impression que le gouvernement croit que réduire la liberté d’expression est une forme légitime de gouvernance, alors que ce n’est pas le cas. Un manque de transparence et de prise en compte de toutes les idées, même des critiques, ne peut que nuire à l’AKP intérieurement et encore plus extérieurement, projetant une sévère image anti-démocratique à l’étranger.
Il n’y a qu’une seule facette à cette interdiction quand il s’agit de la Turquie, qui doit être notée : l’article 301 du Code pénal turc. Après tout, on peut affirmer qu’un président a le droit de prendre toute mesure qu’il juge nécessaire à condition qu’elle soit légale dans son droit national. En réalité, c'est la nature du présent article qui a permis à des politiciens de profiter de celui-ci pour promouvoir leur propre intérêt. L’article rend illégal le fait d’« insulter la nation turque », et a été utilisé dans des procès contre des journalistes et des chercheurs qui ont attaqué l’Etat ou certaines de ses politiques (plus farouchement, son déni du génocide arménien). Ainsi, des lacunes dans le système juridique vont être facilement mises à profit par des politiciens avertis, comme Erdoğan, particulièrement quand il s’agit de censure et de sélectivité politique. Les manifestations du parc Taksim, d’un autre côté, qui ont commencé en mai 2013 par un sit-in pacifique contre les projets de développement urbain pour le parc Gezi dans le centre d’Istanbul, sont rapidement devenues violentes quand la réponse de la police est devenue extrêmement dure. La confrontation a rapidement dégénéré en désaccords sur des politiques plus larges du gouvernement Erdoğan, en particulier le contrôle croissant de l’Etat, la réduction de la liberté d’expression et la sécularisation constamment menacée.
En outre, l’Union européenne devrait arrêter de jouer au jeu de la récompense avec la Turquie et être plus honnête – l’accession est peu probable et irréaliste, en ce moment plus que jamais. Cela ne veut pas dire que les accords préférentiels (comme on le voit à travers les pactes proactifs comme la politique européenne de voisinage) ne doivent pas être pris positivement par Ankara, ils ne doivent simplement pas attendre davantage pour l’instant. La Turquie pourrait risquer de ne pas être invitée à faire partie prenante de l’UE pour les raisons suivantes : tout d’abord et le plus crucial, la crise économique a déstabilisé l’union jusqu’à son cœur. Les Etats membres actuels parviennent à peine à tenir bon, la popularité de l’UE et de ses institutions est à un niveau historiquement bas, et des options sérieusement pessimistes sont mises sur la table – c’est-à-dire, la sortie possible de la Grèce et du Royaume-Uni, la division de l’Eurozone en des groupes monétaires distincts, etc.
A ce stade, l’UE n’aurait simplement pas les moyens d’accueillir de nouveaux membres. La précédente grande vague d’élargissement de l’UE, portant les membres à 27, a encore davantage contraint l’UE : la diversité rend la cohésion et la prise de décision rapide plus difficile, et a aussi mis beaucoup de pression sur les Etats membres (comme sur les questions de frontières et d’immigration). Cela ne ferait qu’accroître avec une poursuite de l’expansion. Il est possible que la question de l’UE en tant qu’union « culturelle » doive également être soulignée, et reste discutée. En effet, les différences culturelles peuvent déjà être fortement ressenties entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, les pays catholiques, orthodoxes et protestants. La Turquie, pont entre l’Europe et l’Asie, et pays avec une population et un héritage principalement musulmans, pourrait être trop difficile à intégrer dans une Europe déjà - peut-être trop - diverse. Enfin, le déni de la Turquie des génocides passés et son manque de liberté d’expression et de parole du fait de l’utilisation de l’article 301 sont des sujets importants qui nécessitent une amélioration et se heurteraient trop vigoureusement à la forte insistance de l’Europe sur les droits humains et fondamentaux.